- ven. 10 août 2018 13:02
#33564
Il faisait froid, si froid. Il faisait noir. Elle baignait toute entière dans cette froide obscurité. Elle avait peur. Mais peur de quoi ? Il n’y avait rien. Le néant. Pourquoi n’y avait-il rien ? Un murmure. Un râle. Komus.
L’air abonda soudainement dans les poumons de la Mirialan qui se réveilla brutalement. Elle plaqua machinalement les deux mains au sol pour se relever, mais au moment d’envoyer l’impulsion, ses muscles l’abandonnèrent, et elle s’effondra sur la tôle dont le contact était glacial. Un instant immobile, elle entendait battre son cœur, si fort, et avec tant de conviction, qu’elle ne put s’empêcher de l’écouter, et de compter. C’est alors qu’elle se rendit compte combien ces battements la faisait souffrir. À chaque nouvelle injection de sang, un nouveau pic acéré planté dans le torse.
Ranath roula difficilement sur le dos. Clignant des yeux, puis fronçant les sourcils, elle reconnut le plafond du couloir. Oui, c’était forcément le couloir, les murs rapprochés, et cette tâche de rouille provoquée par une vieille fuite depuis longtemps réparée. Le couloir. Le Poing de l’Ombre. Les souvenirs lui sautèrent brusquement au visage. Terminus. Hayley. Haarlock. La mort. Mais, m*rde, comment avait-elle regagné le vaisseau ? Et piloté ? Où allait-on ? Cette fois, la Mirialan parvint à se remettre sur pieds et à boitiller jusqu’au cockpit. Elle s’assit à sa place, interrogea l’ordinateur. Ziost. Elle n’avait aucun souvenir d’avoir programmé un tel voyage, si loin. Et où en était-on ? Quatre jours. Un trou de mémoire de quatre jours.
Les doigts viridiens enfonçaient ici et là les boutons du tableau de bord. Une petite recherche rapide. Vidéosurveillance. L’écran grésillait doucement. Là, elle arrivait sur Terminus. Extinction des feux. Et … deux jours après ! Elle remontait à bord. Et dans quel état … Ivre ? Blessée ? Comme par instinct, la Mirialan inspecta ses mains. Elle vit ce qu’elle n’avait pas voulu voir jusque là. Du sang. Ses mains étaient pleines de sang. Son sang. Séché depuis des jours. Et ici plus frais, encore chaud. M*rde ! Alors, paniquée, elle se mit à chercher d’où provenait tout ce sang. Elle n’avait pourtant pas mal. Ah, là. La tempe, c’était la tempe qui saignait. Oui, voilà, elle avait mal maintenant. Elle pressa la plaie, tout à fait superficielle, avec sa main. Un mouvement à l’écran attira son attention.
Elle avait regagné le Poing de l’Ombre, s’était enfermée dans le cockpit, le temps de trouver une destination, un refuge. Elle s’entendait marmonner quelque chose d’incompréhensible. Voilà, elle avait quitté Terminus et filait vers Ziost. Puis … elle avait longé le couloir, pour s’échouer dans la soute. Par terre, inerte, elle était restée là des heures, immobile. Non, pas immobile. Elle était recroquevillée, et tremblait, serrait les poings. Là c’était l’écran qui tremblait, non ? Non. Pendant des heures, par terre. Au début, elle n’avait pas émis un son. Puis, petit à petit, elle s’était mise à geindre, à pleurer, à râler. Elle disait quelque chose, ce n’était pas juste un charabia, il y avait des mots. Incompréhensible. Elle avait voulu se lever, était retombée, de nouveau prostrée. Et la véritable crise commençait là.
Ranath, devant l’écran, passait en accéléré les vidéos enregistrées par le vaisseau. De temps à autre, elle mettait la lecture en pause, puis observait ses propres gestes en vitesse de lecture réelle. Et elle découvrait bien des choses. Après deux jours par terre sans boire ni manger, roulée en boule, grognant parfois, elle s’était mise à crier, puis à hurler. Elle se tenait la tête à deux mains, impossible de voir son visage. Mais elle criait. Komus.
L’Astre Tyran.
La flotte.
Les Sang-Purs.
La Mort.
Le cœur qui s’était calmé fut de nouveau pris de panique. Une vive douleur piqua la Mirialan. L’air lui manquait. Elle voulut quitter son siège, mais ne parvint qu’à glisser sans possibilité de se rattraper. Son épaule heurta violemment le sol. Son crâne allait exploser. Les images s’imposaient à elle.
Les visages.
Les visages bougeaient.
Ils la regardaient.
Inutile de fermer les yeux.
De l’aide. À l’aide … Ha … Hay … Hele ...ra …
Sa pensée, projetée par son esprit en ébullition, quitta son écrin à la recherche du destinataire. Elle devait être loin, si loin. Ça n’avait pas d’importance. Il fallait la trouver. Il fallait lui parler. Ranath investissait tout son être en ce contact unique. Helera. Avec sa pensée, toute sa terreur voyageait, la Grise ne serait pas épargnée.
- Helera.
Helera.
Helera.
Elle pleurait. Elle avait froid.
- Les Sith … Les Sang-Purs … Morts … Tous morts … Le Tout Puissant ...
Du sang, du sang partout.
- Komus … les a … dévorés … aspirés …
Elle avait peur, si peur.
- Il vient … il répand le néant …