Harlon trouvait quelque chose de troublant au terroir. Pas spécialement Arkanien. Le terroir était vu comme un paradoxe idéologique en terres d'Empire. L'idée de l'Ordre Nouveau voulait introduire une conception des masses universelle, une idée souveraine qui supplantait tout le reste pour mettre chacun sur un pied d'accord. C'était un rêve de cosmopolitisme et de multiculturalisme. Ce qui constituait le concept de terroir pouvait donc sembler vulgaire et déplacé. Cocardier et odieux. Pourtant, les spécificités des régions galactiques étaient mises en avant, comme des droits de vie personnels et ancestraux.
Le terroir Arkanien aurait fini par lui rester en travers. Les aliments venus du froid avaient des saveurs de sucre et de sel mélangés pour tenir au corps. A l'opposé de ce qu'il pouvait connaître des régions tempérées et chaudes qu'il connaissait d'ordinaire.
Mais un choix d'Arkania restait un bien meilleur choix que celui de Merisee. L'horreur qu'imposait la simple mention de cette zone hérissait le poil de l'Empereur. Mais le goût lui étant inconnu, il ne fit aucun commentaire sur la provenance, qui lui restait un mystère.
Ton cadre de vie est douillet, même pour du temporaire.
Le Praxeum allait devoir subir de sacrés modifications pour accueillir de nouveau la Monarque. Renforcement des toits, des murs, des alarmes, aménager les chemins de rondes intelligemment, blinder les accès aux quartiers de la Monarque... et bien sûr, passer un coup de balais avant et après. La composition du permabéton était à lui seul un casse-tête qui opposait architectes, ingénieurs et chefs de la sécurité. Il en savait quelque chose. Tous exigeaient une concession pour qu'ils puissent concrétiser leurs plans au maximum. Et il appartenait à l'Empereur de décider sur quel pan mettre l'accent. Résultat, il avait une tour en permabéton moche mais blindée à l'extrême, si bien qu'un bombardement orbital n'aurait pu y venir à bout rapidement, et ce malgré l'absence de bouclier de périmètre.
Harlon accepta le verre, s'assit et fit tinter.
Tchin. A nous deux.
Il n'aurait pas dit non si Elizabeth était venue sur ses genoux cette fois. Le sommeil venant, les idées devenaient un peu plus confuses à chaque instant. La liqueur lui brûlait la gorge et lui faisait tourner la tête.
Une mine ? Diable. Que mine-t-elle ?
Si c'était une mine de cuivre, cela promettait l'ennui. Quelque chose de plus spécial serait apprécié.
Un astroport de l'amitié... bonne idée. Mais faciliter les séjours bilatéraux reste à définir par nos conseillers... c'est d'ailleurs pour ça que je suis là... officiellement.
Ils ne devaient pas oublier que, théoriquement, la présence de l'Empereur indiquait des rencontres officielles. Même improvisées. Comme c'était le cas présent.
Ils parlèrent de choses et d'autres. Leurs goûts respectifs. Sur l'art, principalement. L'art, chose inutile qui sert d'ancrage essentiel entre deux êtres. L'opéra. Oui, l'opéra. Classique ou expérimental. Harlon aimait bien l'expérimental. Ca changeait un peu, et que ça soit bien ou non, on en partait toujours surpris.
En parallèle, la fatigue submergeait peu à peu Harlon. Il commença à s'avachir dans son fauteuil. A mettre sa main devant ses yeux. Et à revoir sa journée, vécue de nouveau entre deux paroles sourdes de son amie. La matinée seule.
Faites attention, jeune fille...
Vous pourriez vous faire couper les ailes en plein élan, comme votre frère !
Pensez-vous que j'aurais plus de scrupules ?
Votre position ne vous donne aucune marge de manoeuvre face à moi...
Certains voient dans l'attaque d'un auditorium une preuve de l'arrogance impériale...
... d'autres y voient une invitation à destination des Sith.
Il lâcha son verre et se mit à pleurer.
Il avait ramassé les bouts de verre tandis qu'un droïde était au nettoyage. Il avait compris qu'il était trop épuisé mentalement et physiquement pour tenir plus longtemps.
Je suis... désolé. C'est... les... c'est beaucoup d'émotions pour moi.
Il avait les yeux encore gonflés. Mais il tenait bon. Il l'embrassait maintenant en la serrant fort, comme pour fusionner et se mélanger. Une seconde, une minute, une heure... combien de temps l'étreinte avait duré, il n'en savait rien. Il lâcha prise quand la décence lui indiqua qu'il le fallait. Il prit le visage de l'Arkanienne de ses deux mains délicates mais brouillées par le soir venu. Il partit le coeur lourd, mais il savait le départ temporaire. Il sortit lentement, à moitié titubant, et se prit les pieds dans le froid au-devant de l'hôtel particulier.
Il ne savait pas du tout où aller. Ni où il était. Il s'emmitoufla et partit un peu au hasard, tournant brièvement en rond. Il fut finalement rattrapé par ses deux gardes distants qui avaient remarqué quelque chose d'anormal.
Sire ? Tout va bien ?
Sss... sire ? Tout... oui... tout va bien... très bien même... mais...
Il se couvrait la poitrine des bras en grelottant.
Je... je veux rentrer. Je dois... je dois rentrer.
Bien sûr. Venez, glissez votre bras autour de mon cou.
Le deuxième garde établit un périmètre de sécurité restreint. le second traîna un Harlon mort de fatigue dans la neige jusqu'à sa résidence. Il l'accompagna jusqu'à sa chambre, où il fut sommé de rester sur le pallier. L'Empereur alla se coucher seul. Il jeta machinalement son chapeau sur le sol, se déshabilla aussi rapidement qu'il le put, laissant tout à même le sol. Il se dirigea à moitié conscient vers son lit, en sous-vêtements, sous les coups de 01:27.
Il se réveilla à 01:48. Malgré sa fatigue, il n'arrivait pas à fermer l'oeil pour s'endormir. Quoiqu'il se passe, il songeait à une seule chose. Ou du moins, une seule personne. Il se leva avec difficulté et alla à son balcon. Torse et pieds nus, il marcha sur un peu de neige accumulée à sa fenêtre, à regarder vers Elizabeth. Et vers la lanterne. Un phare dans la nuit. Il lui avait dit de l'allumer... en cas de soucis... il s'avança donc et tenta de la rejoindre. Il ne remarqua qu'après qu'il était presque nu, de l'autre côté du garde-fou... à tenter de sauter dans le vide. Il paniqua et rentra vite à l'intérieur.
Mais bon sang... mais qu'est-ce qu'il m'arrive ?!
N'importe quoi, vite ! Il se servit un brandy sec et pur et le but cul-sec. Il fallait que ça cogne. Il cassa son verre en serrant le poing et tenta d'avoir mal avec les débris de verre. Rien. Il se resservit un verre et s'entailla le dos de la main avec un morceau au sol. Il était devenu insensible ! Il marcha vers la salle de bain. Il alluma les jets de la douche, au maximum de chaleur, et se retira les morceaux qui s'étaient plantés dans ses pieds quand il avait piétiné les précédents débris. Assis en tailleurs sous une douche brûlante, il laissa le jet chaud jusqu'à être bouillant et passa à l'eau glacée. Quand il fut enfin propre, il alla se resservir un verre pur de brandy. Puis, en titubant dans le salon, il finit par casser un autre verre, et déambuler dans toute la pièce, bouteille à la main.
A un moment toutefois, il sut qu'il devait aller se coucher. Il retourna dans sa chambre et regarda l'heure. Il était 07:21. Il avait rendez-vous dans une heure à peine avec le gratin arkanien.
Oh non... putain de merde !
Il alla à son chariot, prit du sel, mélangea à de l'eau, et but cul-sec au-dessus des toilettes.
Faites venir mon médecin !
Le médecin, un homme puissant pour son âge avancé, auscultait l'Empereur en caleçon assis sur son lit. Réaction à la lumière, respiration, pouls, température... L'homme fit une sacrée grimace.
Le diagnostic me paraît clair... Vous avez attrapé froid. Une exposition trop longue vous a donné une fièvre carabinée hallucinatoire. Et en plus de ça, vos pupilles sont dilatées à leur maximum. Pas besoin de voir d'où ça vient, il suffit de bien renifler...
Huuuh ?
Ah je ne dis pas, une telle fulgurance n'aurait jamais été que théorique en ce qui me concerne. Mais ça ne ment pas. Vous avez 42 de fièvre...
Haaa ?
Ah ça me paraît clair. Des injections de kolto pour les bactéries, et d'ici après-demain, vous serez en forme. Et... bon sang, votre peau est toute pelée, comme si vous aviez prit une douche brûlante pendant plusieurs minutes... je vais vous passer de la crème hydratante.
DOCTEUR !
Il serrait le bras du médecin de toutes ses forces. Et elles n'étaient pas moindre. Le médecin réprima une grimace de douleur. Et un peu de frayeur, devant le regard fou de l'Empereur Astellan.
Je dois... je dois...
Oui je sais... mais vous êtes malade.
J'ai des devoirs ! Je dois visiter...
Oui, mais pas aujourd'hui. Nous enverrons vos remplaçants.
Codéine...
Pardon ?
Codéine... Donnez-moi...
De la codéine ? Mais vous allez planer à mille pieds au-dessus du sol !
Naaaaan... coupez avec... amphétamines...
Sire, en tant que votre médecin...
... tenu aux ordres, ch'crois bien.
Le médecin sortit en trombe des appartements de l'Empereur. Le visage griffé et en sang par trois lignes parallèles sur la joue, il alerta les gardes rouges postés devant la porte.
Venez m'aider ! Il a complètement perdu l'esprit !
Deux Gardes restèrent en faction, mais deux autres réagirent immédiatement. Les piques en avant, ils entrèrent dans les appartements de l'Empereur et n'eurent pas à chercher longtemps.
MA TÊTE ! SORTEZ DE MA TÊTE !
Le médecin trifouilla dans sa mallette, un peu paniqué, en prenant divers produits et commençant à monter une seringue.
Immobilisez-le ! Son coeur a bondit à presque 200 pulsations par minute avant qu'il soit comme ça ! Je dois lui injecter du Nébivolol, sinon il peut en mourir !
Le premier garde lâcha sa pique et ceintura l'Empereur en plein accès de folie. Pesant un peu lourd et fort de corps, l'Empereur se débattit férocement, frappant le casque du Garde avec son coude pointé, ce qui nécessita un choc à quart-puissance du deuxième Garde, qui à son tour ensuite lui prit un bras pour l'immobiliser. Chacun avait un bras dans les leurs, et ils purent allonger l'Empereur sur le ventre, tandis qu'il se tortillait encore avec force.
Bien, tenez-le !
Dans une telle posture, il piqua l'Empereur aux fesses. Le concentré agit rapidement, et bien vite l'Empereur arrêta de trop s'agiter. Avec un stéthoscope sans fil, le médecin put prendre la totale pour son patient. La température corporelle restait près de 42 degrés, mais son pouls tombait à 60 pulsations par minute. Son train de vie sportif en faisait une bête au rythme lent.
Bon... la tachycardie s'est arrêtée... maintenant pour le côté cognitif... tournez-le s'il vous plaît.
On tourna l'Empereur essoufflé sur le côté. Son visage était aussi rouge que sa peau, ses cheveux en bataille collaient à la sueur de son front, et ses yeux explosés semblaient souffrir d'un nystagmus spontané. Le médecin agita trois doigts devant ses yeux.
Hey ! Combien j'ai de doigts ?
... 20, en comptant les doigts de pied.
Ah ah ah !
Il aida l'Empereur à se relever.
Docteur... je dois... je dois prendre une douche... et me préparer.
Bien sûr, bien sûr. Mais ce soir vous vous coucherez tôt ou vous choisirez quelque chose de calme.
Oui... Mais... docteur... qu'est-ce qu'il m'arrive ?
Et bien, tout simplement, vous avez attrapé froid.
L'Empereur avait du retard, mais pas beaucoup. Il portait plus de couches de vêtements qu'avant. Une de plus. Il avait prit un collant noir de StormTrooper pour mettre sous le reste. Ca lui montait jusqu'au col, le faisait transpirer, et bloquait la transpiration pour éviter qu'il ne pue et se sente mal. Le cocktail de codéine et d'amphétamine lui donnait une sorte de pêche artificielle, qui lui permettait de surmonter sa fièvre, pendant que des patch de kolto déversaient leur solution transcutanée pour éliminer rapidement les bactéries.. Mais on devinait des propos souvent incohérents et des airs à la fois paniqués et béas. Un tic corporel consistant à secouer la tête soudainement sur la gauche avait même fait son apparition. La mine offrit un repos visuel bienvenu à l'Empereur, qui accepta la visite rien que pour être dans un environnement sombre. Il n'avait rien retenu du reste.
L'après-midi fut une horreur. Un mal de crâne affreux fini par lui tomber dessus, alors qu'il retrouvait un peu de cohérence dans ses pensées. Le cocktail du matin ne faisaient plus vraiment effet, et la retombée était rude. Il s'assoma d'antalgiques, discrètement, qu'il avala avec les softs proposés lors du buffet. Réprimant des grimaces de douleur et ne parlant donc que peu, tout en étant légèrement courbaturé, il prêta une oreille trop peu attentive pour qu'elle soit bien perçue. Diplomatiquement, il aurait des excuses formidables à faire. Et l'architecte, une femme arkanienne assez jeune - une surdouée juste diplômée dans l'esprit - voulait absolument avoir l'avis d'Harlon sur son projet.
Tout ceci serait en adéquation avec vos envies, Empereur ?
Hmm ?
Il voulait juste en finir, et faire une grosse sieste avant l'opéra du soir.
Hmmm... j'aime beaucoup le style Beaux-Arts...
L'architecte sembla gênée.
Euh... le style arkanien actuel ne vous plaît pas ?
Par tous les Sith.
Si, si, ça s'accorde beaucoup avec votre architecture.
Mais vous n'aimez pas ?
Hein ? Si si, j'aime beaucoup, c'est nouveau pour moi...
Mais vous auriez préféré autre chose...
Non ! J'aime beaucoup je vous ai dit !
Elle recula d'un pas. Des arkaniens l'accompagnant eurent l'air vexés et surpris.
Pardon... pardon... Je ne me sens pas très bien...
Il fit un effort et commenta les formes et les couleurs. L'architecte fut plus froide, mais sembla rassurée en même temps. Harlon commenta dans le détail, parlant du bien-fondé des courbes, mais questionna la couleur beige, à laquelle il pointait une préférence pour des teintes désaturées et foncées. Il félicita l'architecte, et remercia l'assemblée pour le symbole qu'il constituait.
La journée fut longue et pénible. A la fin, il put parler un peu avec Elizabeth.
Ahhh... je suis navré... mais j'ai la tête en feu depuis... ce matin.
Pas question de mettre le froid entre eux. Ca serait comme l'accuser elle.
Je... je vais peut-être devoir m'esquiver jusqu'à ce soir... Je dois me reposer un peu. Avant l'opéra. Je suis désolé d'avoir été distant... mais je le serai encore si je ne fais pas cette sieste.
Tu ne m'en voudras pas ?
Il disait ça avec des cernes sous les yeux, des yeux injectés de sang et des joues rougies par la fournaise corporelle. En espérant qu'elle comprenne que ça n'allait pas fort-fort.