La cage dorée qui était leur s’était finalement avérée une occasion profitable. Bastion, planète aussi secrète qu’imprenable, et loin d’un paradis touristique regorgeait en vérité de bien d’occasions de souffler. Voilà ce qu’avait été cette semaine. Une respiration bienvenue dans un quotidien qui aurait pu devenir oppressant. Cela restait des vacances forcées, certes, mais des vacances quand même. Dormir tranquillement, sortir, acheter, vivre une vie normale … C’était ça, en vérité, qui avait fait le charme de ce séjour. Une vie normale. Ici on ne les connaissait pas, on ne les regardait pas, on ne les embêtait pas. Certes, bon, ils étaient sous escorte, mais qui ne l’était pas avec autant de troupes au sol ? Et puis ce climat … le soleil, la belle saison, se balader en short et en tee-shirt pour flâner dans une artère commerciale, et acheter une quelconque préparation à manger tout en continuant son chemin. Il revivait. Plus de froid, plus de vent à vous glacer les os, plus de tentes et de loups, juste de la civilisation et de la tranquillité. C’était sa vie d’avant, en plus calme, et en bien plus douce, au bras de sa future femme. L’occasion fut trop belle pour ne pas la couvrir de cadeaux, de tenues conseillées d’un regard vif et amoureux, de sortir voir des spectacles ou juste se prélasser au bord d’une fontaine en la gardant dans ses bras. Une prison dorée, donc, dont il profita jusqu’à la déraison. Heureusement qu’elle était là pour le tempérer dans la montagne d’achats qu’il était prêt à faire, surtout pour leurs enfants. Des choses inutiles, des habits, des jouets, tout plein d’objets qui finalement ne pourraient jamais repartir de la planète.
Il valait donc mieux la gâter elle. Parce qu’au final, à l’heure de quitter cette planète, Helera lui semblait … revivre. Le teint pétillant, une tenue aussi nouvelle que surprenante, et un dynamisme retrouvé. Cette femme était fascinante, et s’il fallait revivre tout ce qu’il avait vécu pour avoir ce même sourire, et cet air espiègle qu’elle arborait dans ses bons jours. Peut-être qu’elle en avait eu besoin elle aussi. Souffler un instant, sans oublier leurs enfants, bien-sûr, mais se reposer mentalement pour pouvoir affronter la suite avec force et conviction. Oui c’était peut-être juste ça. Mais ce serait là trop réfléchir. Il suffisait de l’apprécier, et de se contenter de la regarder devenir follement joyeuse à l’idée d’explorer un destroyer …
Attendez, quoi ? Le Prince fut déconcerté, dans la navette, à mesure qu’elle éructait d’une joie sans fin alors qu’ils étaient en présence de l’Empereur. Plus réservé, il ne sut pas vraiment comment réagir à sa plaisanterie, ne lui offrant qu’un plissement d’yeux.
« On verra si tu le vaux … Et si l’Empereur accepte … » marmonna-t-il presque timidement à la seule oreille de celle qui bouillonnait à côté de lui. Il s’amusa de l’idée et finalement se contenta d’observer ce vaisseau inconnu, un sourire au visage. Après tout, il se devait d’êtr discret et silencieux, ne cherchant pas outre mesure à tenter de le Diable incarné. Ce n’était là en plus que les prémices de ce qui serait son statut pour la longueur du voyage. Mais soit. Dès qu’ils furent tous les deux, et qu’elle se montra toujours déterminée à explorer ce vaisseau, elle eut droit à une demande officielle d’éclaircissements.
« Finalement … Cela aura été plus long que prévu, mais on va enfin les retrouver … Toute la famille, tout le monde … »
Il laissa choir sa veste sur le lit, dans son style très militaro-impérial habituel. Certes, ils avaient une cabine de choix, pour une fois, et à ce qu’il semblait pas si loin de celle de l’Empereur, mais cela restée une caisse métallique flottante. Qu’importe. Son attention n’était plus à observer ce qui serait leur diligence, mais plutôt cette Reine qui n’attendait que son compagnon pour commencer leur visite.
« Mais attends, je veux juste comprendre une chose … T’es vraiment .. vraiment fan de vaisseaux ? Comment ils fonctionnent, comment ils sont assemblés et tout … ? Des vaisseaux, même de guerre ? »
Le têtan la dévisagea d’un air plein d’interrogations.
« Ca fait des mois qu’on vit ensemble, et je t’ai jamais vu toucher à de la mécanique ou même juste traîner du côté de l’ast … du port ? Tu me l’as caché ? »
Il avait beau se creuser les méninges pour chercher un souvenir par rapport à tout ça, ou une discussion explicite sur le sujet, il en tombait des nues, ou semblait en tout plein d’étonnement. Cela signifiait donc qu’ils feraient le tour des chantiers spatiaux de l’Empire, ou même qu’ils finiraient par en assembler au-dessus de Nelvaan, à ce rythme. Même après tout ce temps elle était une source de surprises, à tel point qu’il s’éclaira soudainement d’une nouvelle révélation.
« Par l’Empereur, que j’ai été naïf ! Ohlala … Lera … comment ais-je pu croire en épousant une kuati qu’elle ne pouvait pas apprécier cela ! Une kuati qui aime les vaisseaux … »
Il riait déjà en l’attrapant pour voler un baiser à cette chef mécanicienne qu’il n’avait pas soupçonné jusque-là. Cela lui correspondait tellement que l’évidence, même devant son nez, ne lui était jamais apparue. C’est dans ce même rire qu’il prit le chemin de la sortie, avec elle, en espérant encore pouvoir apercevoir le départ en hyperespace de la bête, si ce n’était pas trop tard. Une kuati qui n’aime pas la mécanique … Ha, Helera …
____________________________________Il est vrai qu’il n’avait pas la moindre idée de ce qu’était cette nouvelle classe de vaisseau. A la différence d’elle, il n’avait jamais fait l’effort de se tenir plus au courant que ce qu’on en disait dans les réunions royales ou dans les dîners mondains lorsqu’il en visitait encore. Comme tout bon étudiant impérial, il connaissait par cœur les gammes précédentes et leurs exceptionnelles capacités. Une fierté, voilà ce que c’était, et une confiance aveugle en l’avenir. C’est en tout cas ce qui se faisait à l’époque … il y a une éternité. Quelle perspective vertigineuse.
Aujourd’hui, il se trouvait là. Plus si loin d’un nouvel Empereur, dans un vaisseau aux dimensions impressionnantes et à la vie grouillante. Ils avaient beau essayer de visiter une nouvelle partie chaque jour, il n’en paraissait que toujours plus grand, comme si aucune fin n’avait été créée pour un monstre de cette sorte. A dire vrai, il n’avait jamais mis les pieds dans un vaisseau de guerre cette envergure. Aucune raison de le faire jusqu’ici, et la seule fois ne fut pas tellement l’occasion d’admirer la vue. Ici, l’ambiance était tout autre. Froide. Surveillée. Active. Il le vit une des fois où il sortit seul de ses quartiers. Son ennui l’amena à essayer de compter le nombre de soldats qu’il arrivait à distinguer … ce qui était littéralement impossible. Les uniformes qui se ressemblaient tous, les armures en faction et toutes les patrouilles récurrentes, c’était presque angoissant. Une armée, littéralement. C’était juste ça. Un très gros vaisseau pour une très grosse armée. Une définition de ce qu’était l’Empire aujourd’hui.
Et à dire vrai, c’est peut-être pour ça qu’il ne vécut pas forcément si bien que ça ce voyage. Ce sentiment d’enfermement n’était pas si palpable, au départ. La cabine était spacieuse, les moments ensembles agréables, et les repas au mess curieusement bons. Mais ce qui fut d’abord une interruption dans leur programme fut ensuite une mauvaise habitude qui lui pesa. L’interdit de ce qu’ils faisaient la première fois lui apporta un frisson suffisant pour se faire plus discret, mais se faire interrompre en pleine séance d’étirements et de jeux dangereux plein de promiscuité était d’une frustration extrême. Alors oui, ne restait qu’à méditer, encore et encore, pour faire passer le temps dans ce monde-ci et percevoir ces milliers de sources de vie dans le vide de l’espace, à moins que ce ne soit des heures à passer ses nerfs en essayant de retrouver un peu de forme physique. Et plus les jours avançaient, et moins il avait envie de se faire interrompre, au point de ne plus vouloir commencer d’activité à deux inutilement lorsque le moment approchait. Combien de temps cela faisait, déjà ? Trop de jours. Le rythme, ici, et le temps qui semble mettre une éternité à passer était pesant. Beaucoup trop, maintenant qu’il se retrouvait seul au milieu de ces figures presque impersonnelles et trop professionnelles pour que les rares têtans qui devaient se trouver dans ce vaisseau ne se montrent. Tout semblait long ici, et sans saveur. Cela allait bien faire trois semaines, et presque un mois, qu’ils étaient partis. Alors que leurs enfants venaient de naître. Que leur planète attendait, sans qu’ils ne communiquent librement. Qu’Helera était l’objet d’une attention qui l’inquiétait et le travaillait. Il n’était qu’un accompagnant, un « fiancé de » et non pas autre chose. Plus de Prince, plus de .. Pffff … Seuls les moments passés à eux deux avaient encore une valeur quelconque, tant dans l’apprentissage que les échanges qu’ils avaient sur tout ça.
Ce nouveau monde, cette nouvelle vie, tout cela donnait l’impression qu’une ère venait de prendre fin au profit d’une nouvelle. Que quelque chose de plus grand, de plus sombre, était en train de s’immiscer dans la quiétude de leur petite vie peu commune à flanc de montagne. Etait-ce pour un bien ou pour un mal ? La frontière était trop floue, à cet instant, perdu entre Force et conscience pour en trouver la réponse.
Et il ne fut pas spécialement aidé le jour suivant. Elle n’était pas partie depuis longtemps. Il l’avait regardé se préparer, se risquant à un mot d’encouragement avant de l’embrasser un peu plus fort que le jour précédent. Partie comme une Reine, et rentrée en une tenue qui lui mit une boule au ventre. Cet habit, cet uniforme … Il en eut le souffle coupé tant il en était presque … choqué ? Ce n’était pas vraiment ça, ce n’était pas facile à qualifier, même, mais il n’aimait pas cette vision. Bien plus que cela, elle semblait trop fausse, trop insultante, même, pour qu’il l’accepte aussi simplement qu’après un autre de ses rendez-vous en tête à tête avec l’Empereur. S’habiller comme ça n’avait rien de charmant. Pas dans ce cadre. Ce n’était pas une agente, ce n’était pas la tenue d’une vie que son esprit avait déjà eut du mal à accepter, mais c’était celle du pouvoir impérial. Serrée, droite, sans saveur. Pas sa femme, pas elle. Pas Lera. Devait-il s’en rendre malade ? De toute manière il passa par l’hôpital de bord. Voilà ce qu’était ce fameux jour suivant, et ce besoin de lui rappeler qu’il l’aimait, pour chasser le spectre qui planait non loin.
« Qu’est-ce qu’il se passe ? »
Les gardes ne s’étaient pas vraiment gênés pour entrer, même si la politesse élémentaire de se signaler fut accomplie à minima. Interrompu en plein début d’étirements, il se trouvait soudainement centre d’une attention qui n’annonçait rien de bon.
« Pourquoi devrais-je vous suivre ? Où est Helera ? »
Sa première pensée fut à sa future femme. S’était-il passé quelque chose ? Son inquiétude fusa trop vite pour que son esprit comprenne réellement ce qu’on essayait de lui dire. La personne en blouse aurait du lui faire comprendre, d’un regard, que ce n’était pas pour l’emmener en détention. Mais il n’écoutait pas. Debout, alors qu’on commençait à vouloir le forcer à avancer, il ne se montra pas forcément coopératif. Visiblement, personne n’avait de patience pour son prochain. Ce ne fut que sous la menace d’une injection qu’il se décida à avancer, sous si bonne escorte qu’il se demanda si finalement tout n’avait pas fini par se réaliser.
« Où se trouve ma femme ? Que lui avez-vous fait ? »
Ses interrogations n’eurent pas de réponse. Et eux non plus, malgré toute la batterie de tests qu’il fut obligé de passer. De toute sa vie, il n’eut jamais passé autant d’examens médicaux qu’en si peu de temps cette fois-là. On cherchait à trouver quelque chose, et on y mettait tous les efforts possibles. Ce n’était pourtant qu’un humain lambda, aussi immaculé qu’un Prince qui avait les moyens de s’offrir les meilleurs soins du secteur spatial qui lui appartenait par son droit de sang. Il crut d’abord à de la torture. A une façon de le maltraiter, de le faire parler, mais on ne lui posa pas vraiment des questions susceptibles d’apporter de nouvelles informations. D’autant qu’Helera avait dit tout ce qu’elle pouvait dire. Cherchait-on à faire tomber son père ? Tout était aussi improbable qu’inattendu. N’en résultait qu’épuisement et incompréhension la plus totale sur cet épisode du voyage, comme pouvaient s’en douter leurs instigateurs. Il n’y avait rien à trouver, et ils ne trouvèrent rien. Rien dans le sang, rien dans les scanners, rien dans toutes les études possibles et inimaginables sur son corps et son esprit. Uniquement du stress.
Forcément, le lendemain, lorsque vint le moment du retour, Althar semblait moins … vivant. Plus fatigué. Il lui tardait de retrouver son foyer, et les personnes qui s’y trouvaient. De retrouver son Helera, et la tranquillité de celle-ci au quotidien. Il lui tardait de s’éloigner de l’Empire. Enfermé dans son manteau, il resta bien silencieux, et bien discret. Le pont avait beau être bruyant, plein d’énergie et en pleine manœuvre, il n’y portait plus guère attention. Au bout du tunnel attendait une planète. Leur maison ...