- mar. 13 août 2019 06:32
#35952
- Pas de message, aucun sous-entendu. Le Capitaine délivrait une information culturelle, bien loin d’un registre provocant. Du moins, l’espérait-il. Et il ne savait rien des revenus de l’Empereur. Ou peut-être le savait-il, dans le fond, mais cela le laissait indifférent. Et il ne se serait pas risqué à contrarier un tel personnage. Le dialogue le mettait tout simplement mal à l’aise, bien qu’il fût capable de faire face à son bourreau. Un Empereur comme Astellan avait, pour ainsi dire, tous les droits. Oberan se figurait que rien n’arrêtait son ire, pas même l’amour de son amante. De fait, il restait prudent. Et les mots qui vinrent ensuite le surprirent malgré tout.
- « J'aimerais que vous soyez à notre table, au banquet. »
Il allait répondre aussitôt, les gardes ne s’attablaient pas au banquet, mais l’Humain ne lui en laissa pas le temps.
- « Vous l'aimez, n'est-ce pas. »
L’annonce le frappa comme la foudre. Avait-il l’air de l’aimer ? Ou du moins de lui porter un intérêt certain ? Cela sautait-il aux yeux ? Pour qui aimait la Monarque, certains détails pouvaient induire quelque déduction. Mais l’aimait-il vraiment ? Au point de tuer ? Oui. Au point d’assassiner l’Empereur, son époux ? Non. Oberan était loyal, et bien des raisons l’avaient poussé à ne jamais s’entretenir avec la Reine sur le sujet. Le silence était un choix, non une contrainte.
Le Capitaine eut soudain l’air contrarié. À distance des miliciens, il paraissait entretenir avec l’Empereur une discussion complexe, mais nul n’aurait pu deviner le contenu de leur échange.
- « J’ai reçu mes ordres pour la journée, Votre Altesse, veuillez m’excuser, je n’y dérogerai pas. »
Il prit une brève inspiration, sans pour autant laisser le temps à l’Humain de s’empourprer.
- « Cependant, je prends vos remarques en considération, et apporterai au problème une solution. »
Le ton avait radicalement changé. J’ai compris, n’insiste pas. Isen avait tout intérêt désormais à se sortir de cette situation. On formulait des menaces. Il n’irait pas geindre auprès de son employeur, c’était peine perdue.
Les bottes arkaniennes claquèrent soudain au bout du couloir, devant la porte de la cabine royale. Les quatre miliciens relevèrent la tête tandis qu’apparaissait le jeune Civicius, dans un ensemble traditionnel des plus finement ouvragés. Un pantalon ample sombre resserré aux genoux par des bottes de cuir épais, surmonté d’une tunique noire. Derrière lui flottait une cape pourpre bordée d’or. Il ne jeta pas un coup d’œil aux soldats, son regard se posa aussitôt sur le duo qui conversait de l’autre côté. Kadmo attendit qu’on lui permit d’approcher l’Empereur, et chassa Oberan.
- « Empereur Astellan. Je suis honoré de vous rencontrer enfin, et navré, par la même occasion, de n’avoir pu me présenter à vous plus tôt. »
Il obéissait aux directives de sa sœur.
- « Je suis Kadmo Civicius. »
Cela semblait évident, et à la fois, il crut bon de préciser la chose.
- « Je suis on ne peut plus heureux en ce jour. Et à la fois très pressé. »
Sa sœur, encore.
- « La Monarque me demande. Elle doit revoir les contrats dans leur version définitive. Etant donné le statut de votre épouse, Arkania vous consent la nationalité arkanienne. Permettez que je vous apporte ces documents dès leur dernière révision ? »
Il avait l’air, en effet, pressé, et anxieux.
À la porte de la cabine, Oberan avait rejoint ses camarades. L’un d’eux trépignait, du stress peut-être. Meyine ne tenait pas en place. Elle se dandinait, en vérité, depuis le départ d’Arkania. Quoi de plus maladroit que de danser d’un pied sur l’autre en présence de son supérieur militaire, à quelques mètres d’un Empereur, d’un Seigneur Arkanien, devant la cabine de la Monarque. Les mots du Capitaine sifflèrent entre ses dents.
- « Calmez-vous, ou je vous fais remplacer. »
L’Arkanienne acquiesça en silence.
L’échange avec Astellan terminé, Civicius revint à la porte de la cabine pour y frapper, mais l’intervention de l’Arkant le stoppa.
- « Seigneur Civicius ? »
Kadmo se redressa.
- « Oui ? »
Les sourcils froncés, il ne pouvait mentir sur son niveau d’agacement. La discussion dura plusieurs minutes, avant qu’Oberan ne fut renvoyé à son poste, immobile, en faction dans le couloir. Et Kadmo rejoignit sa sœur. La porte se referma derrière lui.
Elle était coiffée, maquillée, mais se lovait encore dans un déshabillé de soie, et I-sys se tenait dans un coin, en veille.
- « Tu n’es pas habillée ?!
- Kadmo. Je suis prête ! Il ne reste que la robe ! »
Le frère baissa la tête, son anxiété gagna un niveau supplémentaire.
- « Bon, assois-toi. »
Les deux Civicius prirent place l’un en face de l’autre.
- « J’ai relu le contrat. Tu prends le nom d’Astellan, ton époux est d’accord ? »
La Monarque hocha la tête.
- « Et ton prénom ? Tu voulais changer.
- Je ne sais pas … je ne pense pas.
- Tu lui en as parlé ?
- Non … On va laisser comme ça. »
Kadmo hocha la tête tout en pinçant les lèvres en une grimace indéfinie.
- « Bon, c’est bon pour moi alors. Ca va ? »
L’Arkanienne jeta un coup d’oeil à l’horloge. Les quatre chiffres s’affichaient en surbrillance.
- « Oui, ça va être l’heure de mettre ma robe. »
Le frère hésita, et se décida finalement.
- « Tu as encore une minute ? J’ai à te parler à propos d’Oberan. »
Le Seigneur Civicius quitta la cabine de sa sœur pour trouver le Capitaine à son poste.
- « Vous avez vos ordres, suivez-les. La Monarque vous convoquera. »
Et il s’en fut, à la recherche de l’Empereur, à qui il avait à donner les contrats arkaniens. Tout était prêt, mais il avait fallu que sa sœur lui fît attendre le dernier moment pour s’occuper de ce détail. À l’impérial adéquat …
- « J’ai à donner ces documents à l’Empereur, avant la cérémonie. »
… il restait une heure.