- mar. 7 janv. 2020 12:28
#36802
- Ce fut comme un courant d’air glacé, une brève averse acide, une gifle. Tout cela en même temps. Alors qu’Isabo marchait encadrée par les deux sensitives émérites - selon son référentiel - elle se sentit soudain seule, terriblement seule. La présence de ses camarades venaient d’être occultée par une aura des plus oppressantes. Pourtant, ici, il ne se passait rien. Rien, jusqu’à ce que leur regard tombât sur les victimes d’un massacre lointain. Des cadavres, à l’état de squelettes. Un frisson parcourut l’échine de la rouquine. Elle n’avait plus peur, elle avait dépassé ce stade. Ce n’étaient que des os, des débris inanimés, en apparence. Mais son inconscient savait, lui, que tout ceci n’était pas normal, pas naturel. Tous ses sens criaient alerte. L’Humaine se figea, horrifié par ce qui pourrait se produire. Varadesh brisa le lourd silence, provoquant le sursaut d’Isabo, qui cette fois ne pipa mot. Et aussitôt, toute l’horreur de son pressentiment se révéla. Ils se levèrent, lentement, et trop rapidement à la fois. Pour la jeune femme, qui ne trouvait plus d’écho en la pensée de ses camarades, il n’existait plus qu’une seule barrière entre elle et la mort.
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L’Humaine saisit lentement son arme, la plaça machinalement devant elle, la tenant de ses deux mains, et appuya sur le bouton de la poignée. Elle ne vit même pas la lame s’éclairer, elle ne voyait que les trous des orbites vides des squelettes, et derrière eux, son maître, le regard froid, les lèvres pincées. Isabo leva brusquement son arme, et de toutes ses forces, frappa. Elle trancha net le premier ennemi qui se présenta à elle, fit un pas en avant. Suivant ! Elle dut faire à cet instant une grimace remarquable, un mélange de haine, de peur de la mort, de peur de son incapacité à survivre. Le premier tas d’os écroulé la rassura d’un rien. Quand ils tombaient, ils ne souffraient pas, ils n’étaient rien. Isabo ne souffrait pas pour eux. C’était facile. Il suffisait de taper, et la lame broyait. Tellement facile. Elle frappa à nouveau, sur un adversaire qui se défendit. Elle ne s’entendait pas grogner à chaque nouveau coup donné, ni ne se voyait apprécier la chute de ces abominations.
Les trois comparses formaient dos à dos un triangle bien armé, et Isabo fournissait sa part du travail. Peut-être pas aussi efficacement, ou pas avec autant de colère que les deux autres, mais elle abattait son lot de squelettes, dont le nombre croissait, et croissait encore. Il en descendait désormais par les escaliers, il en arrivait par les couloirs, de toutes parts. Elles seraient bientôt submergées, bientôt mortes. La rouquine releva le nez, comme pour voir combien elle en avait abattu. Pas assez. Et soudain, elle aperçut, entre les os mouvants, un échappatoire, une issue.
- « VKOH ! »
Elle voulait lui montrer cette ouverture libre de tout ennemi. Elle devait ouvrir la voie, les faire passer par là. La parole n’était pas le medium favori de la jeune femme qui revint d’instinct à un moyen de communication primal, la pensée. Son esprit fondit sur celui de la louve pour lui faire parvenir l’information. La porte, par là ! Mais l’esprit de Vkoh était dangereux pour la gamine, trop puissant. Elle se sentit frappée par une force qui la dépassait, elle se sentit perdre pied, sa vision se brouilla. Sa lame tomba encore sur un crâne dénué de chair, puis sur un autre, mais elle sentait son énergie l’abandonner, jusqu’à la faiblesse. Elle tenta d’avancer vers cette porte, vers cet escalier qui descendait à pic vers les ténèbres. Elle n’avait pas peur, elle n’avait plus vraiment conscience d’elle-même. En revanche, elle avait mal, son être saignait d’une vive coupure qui n’aurait su être physique. Le visage du Maître s’imposa à nouveau à sa vision. Elle ne savait pas si elle devait la haïr, ou l’aimer. Elle l’avait sauvée, et l’avait enchaînée. Le mélange, ce trop plein d’émotion, éclata soudain, ramenant brusquement Isabo à la réalité. Tout ce temps, elle avait eu le souffle coupé. Le retour d’air dans sa trachée lui arracha un grognement rauque. Et son arme s’abattit encore, avec plus de rage, plus de volonté. Elle se fraya un chemin jusqu’à l’ombre totale. Son regard tomba dans l’escalier. Descendre, il fallait descendre. Les autres ?
Elle allait descendre.